Merci à notre ami Fabrice Hadjadj, qui nous permet d’utiliser ce très bel éloge de la virilité et de la chasteté en 4 parties : en voici la 4ème et dernière partie !
13. Entendue ainsi, la chasteté n’a rien de l’efféminement. Elle est bien plutôt virile, et d’une virilité combattante. Dans son premier stade, et avant de s’enraciner dans la sensibilité, elle se situe dans un effort dans la volonté. Elle est alors fragile et ne tient que dans la lutte – de là ses nombreuses défaites. Cet état n’est pas encore la chasteté au sens strict. Thomas d’Aquin parle de « continence », mot qui n’est pas synonyme d’abstention, comme on le croit aujourd’hui, mais désigne « ce grâce à quoi quelqu’un résiste aux convoitises mauvaises qui sont en lui véhémentes » [1].
Quelles sont ces mauvaises convoitises ? Le rejet orgueilleux d’une différence sexuelle qui nous dessaisit de nous-même, le mépris démoniaque d’une chair dont on veut nier la passibilité (la sensibilité à l’autre) pour en faire un instrument d’onanisme, les profits d’un monde technolibéral, enfin, où tout doit être unisexe pour que les individus soient mis en concurrence et que leur volupté comme leur fécondité deviennent des marchandises. Rien de mieux, cependant, pour résister à ces méchante convoitises, que de céder au bon désir. Et c’est ce à quoi s’emploie la continence : non pas réprimer la polarité sexuelle, mais renverser les obstacles qui l’entravent ou la dévient, afin de parvenir à cette chasteté qui la libère comme un fleuve.
L’homme chaste n’a pas seulement vaincu les « convoitises mauvaises ». Il est aussi celui qui protège femme et enfant, non seulement contre les agressions extérieures, mais aussi contre sa propre arrogance, contre sa tentation de les réduire à ses calculs, à ses caprices ou à son contentement : il ménage l’espace où leur altérité peut fleurir et porter du fruit.
14. Cette virilité n’est pas que masculine. On connaît le mot de Thérèse d’Avila à ses filles : « Si vous accomplissez ce qui dépend de vous, le Seigneur vous rendra tellement viriles que vous étonnerez les hommes eux-mêmes[2]. » De quoi s’agit-il ? De ne pas se livrer à ces mièvreries et ces tendresses qui flattent de telle sorte que l’on reste sur un plan d’immanence et de confusion émotive, et qu’on néglige dès lors de crever le cocon pour voler vers l’Époux…
Cette virilité qui étonne les hommes et les encourage à devenir virils fut spécialement manifestée à travers la virginité de cette jeune fille de dix-huit ans, Jeanne d’Arc, qui porta l’étendard à une époque où la chevalerie s’inclinait déjà devant le compromis et l’argent. Il est évident que les soldats, à commencer par La Hire, devant la Pucelle, éprouvait toute la force de la polarité sexuelle. Mais sa chasteté leur interdisait de noyer leur désir dans les lascivetés. Elle les entraînait à entrevoir la transcendance au-delà de la jouissance.
Fabrice Hadjadj
[1] II-II, 155, 1.
[2] Thérèse d’Avila, Le chemin de la perfection, chap. IX, trad. G. de Saint-Joseph, Seuil, 1961, p. 82.